Reproduction de l’article de : Petitestetes.com a rencontré l’orthophoniste Caroline Delloye qui évoque le grand mystère de l’acquisition du langage. De la communication sensorielle aux premières phrases en passant par le babillage, elle nous fait découvrir toutes les étapes de cet apprentissage. Elle explique aussi comment aider nos enfants à acquérir cet outil de communication.
Le langage est une communication parmi d’autres Parler doit être d’abord et avant tout communiquer. L’enfant se développe dès sa naissance et peut-être avant comme être de communication : il reçoit, interprète, analyse, répond, sollicite, appelle, demande… de multiples façons. Il utilise pour cette communication tout son corps. Plus l’enfant est petit, plus cette communication est globale : une éruption cutanée, un sommeil troublé, une poussée de fièvre peuvent être des signaux de communication. Un bébé content qu’on s’intéresse à lui bouge ses bras et ses jambes. Il recevra une caresse comme un mot doux. Dès 10 mois, il peut utiliser un geste symbolique (qui a un sens précis, par exemple le geste « au revoir »). Il n’y a donc pas de langage sans communication sensorielle. Celle-ci précède le langage et le langage ne la détrône jamais. Elle est essentielle mais cependant limitée, elle ne permet pas l’accès à l’abstraction, à la pensée structurée.
L’enfant reçoit depuis toujours le langage, avant même que son audition ne se soit développée: il en ressent les vibrations dans le ventre de sa mère, et il va petit à petit se l’approprier comme mode d’expression, par imitation. Son cerveau y est prédisposé, certaines zones y sont dédiées. Le développement du langage correspond à celui de la pensée, de primaire à abstraite.
Avant les premiers mots Bien sûr le tout-petit perçoit les situations, les émotions, les ambiances. Mais il est également très sensible à la musique du langage, aux intonations (la prosodie). Puis il commence à distinguer des unités-mots (les plus fréquents), et à leur attribuer un sens en fonction des situations dans lesquelles il entend ces mots. Bien sûr ceci sera d’autant plus facile qu’on s’adresse à lui lentement, en accentuant l’intonation.
Produire des sons est d’abord un réflexe (le cri de la naissance, puis les pleurs) puis devient un jeu moteur. Ces premiers sons sont repris par l’entourage et interprétés comme actes de communication : « mais tu chantes ! tu es content ? ».
L’enfant alors constate qu’ils lui permettent d’influer sur son environnement, et s’efforcera de les reproduire, de les moduler, d’en essayer de nouveaux. Les sons qui ne sont pas repris car ils ne sont pas utilisés dans sa langue maternelle disparaissent. Il abandonnera ceux qui ne provoquent pas de réactions ou génèrent de l’agacement et développera ceux qui ont un effet positif, lui permettant d’obtenir l’attention de son entourage ou la satisfaction d’un désir.
Puis apparaît le babillage, lorsque le bébé répète plusieurs fois la même syllabe – « papapa », bien sûr interprété avec fierté comme « papa ! », « mamama »… L’adulte donne un sens à une suite de sons produite par l’enfant, il attribue un signifié à cette forme sonore : c’est le premier mot dit.
Mais le bébé en comprend déjà beaucoup. Puis il produit des sons de plus en plus complexes, et de plus en plus de mots grâce à cet échange permanent avec l’adulte qui le guide en interprétant ce qu’il dit et le reformulant. Ces mots peuvent être des demandes, des commentaires, des questions, des ordres, selon le contexte et le ton sur lequel ils sont dits. Ils s’accompagnent souvent de pointage (qui apparaît vers 11 mois). Ce pointage peut être une demande de l’enfant qui signifie « dis-moi ce que c’est que ça ! ». L’enfant répète ce que dit l’adulte, en reproduisant ses mimiques et son articulation (position des lèvres, de la langue…) et apprend ainsi de nouveaux mots, puis des segments de phrases.
Le développement du lexique : le vocabulaire s’organise Vers 18/20 mois, l’enfant peut produire une cinquantaine de mots. Il rentre alors dans une phase dite d’explosion lexicale (jusqu’à 3 ans) et peut produire 4 à 10 mots nouveaux par jour ! Il commence à les catégoriser selon leur sens.
Les concepts s’enrichissent et se précisent : un mot, appris dans un contexte particulier, va d’abord être appliqué à un signifiant limité, puis, une fois utilisé dans un autre contexte, va au contraire être attribué à un concept trop large : ce sont les mécanismes de sus-extension et de sur-extension, qui se succèdent entre 1 et 2 ans.
Par exemple : on a montré et nommé le chien de la voisine. Le mot « chien » est donc associé à celui de la voisine, et à lui seul. Puis l’enfant rencontre d’autres animaux à quatre pattes, de taille, de formes et de coloris divers, eux aussi appelés « chiens ». Lors d’une visite à la ferme, devant l’enclos des chèvres, il s’exclame alors « chien ! », désignant ainsi tous les quadrupèdes…
Puis vient la phrase… Enfin l’enfant assemble plusieurs mots pour former un message qui retranscrit de façon plus riche et plus personnelle sa pensée : la phrase. Là encore la reformulation est essentielle car les premières phrases n’utilisent pas de syntaxe (grammaire) en dehors de l’ordre des mots, et donc restent ambiguës hors contexte « bibon poupée » veut-il dire « c’est le biberon de la poupée », « où est le biberon de la poupée? », « je donne mon biberon à ta poupée » ? Seuls la situation, l’intonation et les efforts de compréhension de l’adulte peuvent lever cette ambiguïté.
L’enfant analyse la syntaxe et se l’approprie, l’utilisant parfois de façon inventive et fantaisiste : « les enfants sontaient à la cantine » pour « les enfants étaient à la cantine »… Il prouve ainsi qu’il a compris les règles et qu’il essaie de les appliquer, il manipule, construit lui-même et ne fait pas que répéter des formules qu’il aurait déjà entendues.
Comment aider votre enfant ?Le langage n’est utile que pour la communication qu’il permet. La qualité et l’intérêt de la relation sont donc essentiels. N’hésitez pas à accentuer le ton et les gestes articulatoires, à « parler bébé » : cela ralentit le débit, simplifie le vocabulaire, l’enfant reconnaît la prosodie (musique du langage) et sait que ça lui est adressé. Mettez-vous bien en face de votre enfant quelque soit son âge, il cherchera à reproduire vos mimiques dès les premiers jours de vie, puis les mouvements très complexes des lèvres, des joues, de la langue, du souffle qui mènent à la parole. Dès le plus jeune âge, parlez-lui, décrivez ce que vous voyez, ce que vous faites, nommez-lui les objets qui l’entourent.
Vous pouvez encourager l’échange et le plaisir qu’il suscite, à travers des activités telles que regarder un imagier ensemble, écouter et chanter des comptines, raconter une histoire. Acceptez toute tentative de communication de l’enfant, qu’il utilise le pointage, un geste, des mots déformés… Ne faites pas semblant de ne pas avoir compris ou au contraire de comprendre. Ne demandez pas à l’enfant de répéter après vous mais reformulez correctement ses propos. Vous lui donnez ainsi la bonne « enveloppe ».
Par exemple : Votre enfant pointe en disant « vroum-vroum », « oui, tu as vu la belle voiture rouge là-bas ! »
Parler ne doit jamais être un exercice mais doit toujours être inscrit dans un acte de communication, la parole doit avoir du sens. Favorisez la qualité du contexte de communication : contact du regard (mettez-vous à la hauteur de l’enfant et face à lui), l’enfant doit être en confiance, votre attitude bienveillante et encourageante.
Ce qui doit vous alerter : Les variations intersubjectives du développement du langage sont importantes, chaque enfant se développe selon une progression qui lui est propre : certains parlent très bien, très tôt, d’autres très bien très tard, d’autres encore mal longtemps… Si l’enfant évolue dans un milieu bilingue, il développera son expression langagière plus tardivement car il doit d’abord trier le vocabulaire et les règles syntaxiques des 2 langues.
Cependant certains signaux doivent vous alerter et vous amener à consulter un pédiatre.
Dès la naissance : si votre enfant ne réagit pas aux bruits et/ou au toucher, ne maintient pas de contact par le regard
Vers 1 an : s’il ne babille pas, ne pointe pas, n’essaie pas de communiquer par mots ou gestes
Vers 18 mois : s’il ne produit pas ses premiers mots, s’il ne pointe pas, s’il ne comprend pas quelques mots courants
Vers 2 ans 1/2 : s’il n’associe pas 2 mots pour faire une phrase, s’il ne comprend pas une consigne simple : ferme la porte, donne-moi la poupée… S’il n’articule que quelques consonnes.
Vers 3 ans : si seul son entourage propre peut le comprendre, s’il ne comprend que dans le contexte, s’il ne fait pas de phrases construites (avec des articles, des verbes).
Vers 4 ans : s’il ne peut pas raconter quelque chose, utiliser des phrases construites.
4 – 6 ans : s’il n’articule pas tous les sons.
A tout âge : s’il comprend mal, si on le comprend mal, s’il s’isole, se replie sur lui-même, si son langage cesse de s’enrichir, s’il a un comportement difficile (agressivité, colères excessives…)
Le pédiatre vérifiera le développement global de l’enfant et prescrira des bilans complémentaires (auditif notamment) ainsi qu’un bilan orthophonique si nécessaire.
Quelques repères : Le développement du langage oral n’est pas linéaire, il connaît des périodes de progression rapide et d’apparente stagnation.
Vous pouvez trouver des repères dans le guide pratique Les troubles de l’évolution du langage chez l’enfant (mai 2007 – Société française de pédiatrie)
Bibliographie
Les compétences du nouveau-né – Marie Thirion – Albin Michel – 2002
Comment la parole vient aux enfants – Bénédicte de Boysson-Bardies – Ed. Odile Jacob – 2004
Tout est langage – Françoise Dolto – Ed. le livre de Poche – 1989


